
Musique traditionnelle presque oubliée du Nord-Ouest tunisien, le targ connaît une nouvelle jeunesse grâce aux musiciens Sofyann Ben Youssef et Nidhal Yahayoui. Désormais soutenus par des rythmes joués à la batterie et des lignes de basse tout droit sorties d’un Moog, ces airs entrainants revisités donnent le cap, entre tradition et modernité, à une jeunesse qui il y a un peu plus de 6 ans portait à bout de bras, la "révolution de la dignité" appelée aussi "révolution de jasmin".
"On se connait depuis l’enfance. On a grandi dans le même quartier à Tunis" confie le compositeur Sofyann Ben Youssef. "On s’est tous les deux investis dans la musique, mais chacun a tracé sa route de son côté. Sofyann est parti vers le rock et l’électro. Moi, vers le répertoire classique arabe et la musique soufie. J’ai étudié à l’Institut Supérieur de Musique de Tunis.". "C’est un projet de danse contemporaine qu’on devait accompagner musicalement tous les deux, qui nous a réunis. Bargou 08 est né dans la foulée" reprend Nidhal Yahayoui, le chanteur originaire de cette région au nord-ouest de la Tunisie, non loin de la frontière algérienne.
"Bargou est un village enclavé. Il est cerné par les montagnes" reprend le premier. Il leur semble alors important de préserver ce répertoire unique oublié, ce patrimoine en voie de disparition qui porte le nom de targ, un nom qu’ils donneront à ce premier album. "Ces airs des montagnes, ces musiques de fête, de mariage chantées en langue arabe bien que d’origine berbère, sont depuis des générations, accompagnés à la flûte (gasba, zokra) au loutar, un oud berbère qui n’existe plus à Bargou et aux percussions (bendir…). Nous les avons enrichis des sons de la batterie et des synthétiseurs" commente Sofyann Ben Youssef.
Retour en arrière
En juin 2013, le duo organise à Bargou, une première résidence et convie de nombreux musiciens à les rejoindre au sein de ce qu’ils appellent avec un sens certain de la formule : le Front Musical Populaire. Les bases du projet Bargou 08 sont posées. "Au départ, on n’avait pas d’idées préconçues. On voulait juste se réapproprier intuitivement des musiques de tradition. Avec le temps, le projet s’est affiné" rappelle Nidhal Yahayoui.
Désormais recentré sur le targ, un genre musical en déshérence dont le berceau est la région de Bargou, il est pour eux deux, l’occasion d’affirmer la force et la pertinence des traditions musicales populaires ancestrales, et surtout d’inviter les jeunes générations à se réapproprier et à revendiquer ces pans de la culture tunisienne.
"En 2007, j’avais entrepris un travail de collectage, enregistrant sur le terrain les vieux chanteurs et musiciens" ajoute Nidhal Yahayoui. "L’idée première était avant tout de garder une trace. L’envie de le moderniser n’est venue que plus tard. Il était clair qu’on ne pouvait pas faire n’importe quoi avec. Nous tenions à laisser l’élément traditionnel au centre de notre projet, qu’il en soit la colonne vertébrale et pas juste un bain de teinture. Pour y arriver, nous nous devions de bien maîtriser la tradition, de connaître son architecture, mais aussi d’avoir répertorié les multiples interprétations de chaque air" lâche le compositeur.
Et il développe : "Au début, je jouais sur un Korg MS10. On trouvait que le son qu’il produit ne rencontrait pas celui de la flûte ou des percussions, que notre son manquait de cohésion. On a cherché et avons trouvé que le son du Moog entrait mieux en résonnance avec les instruments traditionnels. Toutes les lignes de basses jouées au Moog sont directement inspirées des motifs traditionnels du targ. Elles sont très percussives et accompagnent les changements d’harmonie.". Ce travail sur le son, sur les résonnances est une des forces du projet. Bien que très actuel, il ne dénature pas le rapport à la transe de ces musiques d’antan. "C’est une relecture qui est pratiquée de l’intérieur" analyse Nidhal Yahayoui.
Une métaphore de la société tunisienne
Leur propos n’est pas que musical. Ce rapprochement entre musiques de tradition et musiques actuelles qu’ils signifient par l’apport au sein de l’orchestre d’une batterie et de synthés est selon Sofyann Ben Youssef, une métaphore des évolutions de la société tunisienne. "Depuis 2011, le pays est en constante métamorphose. Il y a des étapes qui nous attristent et d’autres qui nous réjouissent. Mais, on voit naître au quotidien une avant-garde culturelle vivace. Il y a une vraie ébullition, une vraie évolution. Tous les membres du groupe ont conscience d’en faire partie et de représenter cette jeunesse tunisienne qui souhaite tracer sa propre route entre traditions et modernité. On invite les artistes tunisiens à regarder dans le miroir, à travailler sur leurs racines du nord au sud du pays, tout en acceptant le temps présent."
Bargou 08 Targ (Glitterbeat Records) 2017
Page Facebook de Bargou 08
BARGOU 08
Bargou 08 - Targ [Album]